Dans la sexualité, comme dans la vie quotidienne, il existe un certain nombre d’injonctions. Il faut faire l’amour d’une certaine manière et dans un certain ordre. De préférence dans un schéma hétérosexuel et phallocentré. Il s’agirait de jouir aussi à la fin de ce rapport sexuel. Et de s’épiler. Mais seulement en fonction de ce que tu as entre les jambes. Il faudrait également avoir du désir sexuel en permanence pour saon partenaire. Le sexe serait la seule chose qui maintient ton couple. Tu l’as compris : nous pourrions continuer des heures à énumérer certains clichés auxquels nos sexualités sont confrontées.
On a bien envie de dire « stop aux injonctions »… Mais ne serait-ce pas une injonction supplémentaire de dire de déconstruire notre vision de la sexualité ? C’est ce qu’on appelle l’injonction paradoxale et nous t’expliquons ça tout de suite.
Qu’est-ce qu’une injonction à la sexualité ?
Avant de commencer, mettons les choses au clair. Qu’est-ce qu’une injonction exactement ?
Les injonctions sur la sexualité sont des injonctions sociales. C’est-à-dire qu’elles ont été édictées et transmises par la société dans laquelle nous vivons. Et ce sont des clichés qui ont la peau dure, surtout lorsqu’on parle de sexualité.
Ces clichés nous permettent cependant d’évoluer dans un cadre et nous nous construisons souvent avec ces injonctions. Tel un fil rouge pour savoir où aller et comment faire. Si tu ne t’y conformes pas (et que tu en parles), tu seras vu·e comme un·e original·e (au mieux), voire discriminé·e.
D’ailleurs, si tu as une sexualité qui n’est pas considérée comme classique, tu n’en parles peut-être pas. Parce que tu ne souhaites pas être jugé·e ou stigmatisé·e.
A quoi peut ressembler une injonction sexuelle ? Cela peut être ce genre de pensées ou de phrases :
- Un rapport sexuel correspond à une pénétration. Tout acte sexuel non pénétratif n’est alors pas considéré comme du vrai sexe ;
- Un bon rapport sexuel correspond à un schéma précis : des préliminaires, une pénétration et un orgasme ;
- Un bon coup c’est celle ou celui qui fait jouir saon partenaire à chaque rapport sexuel ;
- Des idées préconçues sur ce à quoi doivent ressembler nos corps : la taille du pénis ou des lèvres internes, le tour de poitrine, la pilosité…
- La marginalisation de certaines pratiques ou de certaines sexualités, perçues comme sales, perverses ou bizarres (le sexe anal, le BDSM, les fétichismes, la demisexualité, etc.) ;
- Le fameux « plus c’est long, plus c’est bon » (non) ;
- L’homme a plus de désir que la femme, il est donc normal pour l’homme d’être en constante demande : absolument pas !
- Celles et ceux qui utilisent des sextoys sont frustré·e·s dans leur sexualité.
Si nous le voulions, nous pourrions écrire des pages d’injonctions à la sexualité dont nous sommes victimes et qui sont ancrées en nous. Mais ce n’est pas le but, tu as compris où nous voulions en venir. Des injonctions, il en existe à la tonne. Et il est temps de faire le point dessus !
Les problèmes liés aux injonctions sexuelles
La recherche de performance
Le problème de ces clichés sur nos sexualités, c’est qu’ils provoquent parfois une certaine pression et/ou une certaine charge mentale. Parce que ça nous oblige à être dans une quête permanente de performance, voire d’être dans la représentation constante :
- iel ne doit pas voir à quoi ressemble mon corps ;
- il faut qu’iel me perçoive comme un·e assoiffé·e de sexe ou, au contraire, sage comme une image ;
- si je me comporte d’une certaine manière, je serai perçu·e comme un bon coup…
En matière de sexualité, quel que soit ton genre et tes orientations, tu subis des injonctions et des pressions : l’injonction de bander dur et longtemps, la pression d’avoir un corps parfait et imberbe, l’injonction à jouir (en silence ou en criant suivant ton genre) et faire jouir, par exemple.
Partons du principe que la finalité de l’acte sexuel est l’orgasme (ça ne devrait pas mais admettons). Si tu as lu notre article sur l’orgasme, tu sauras que le mental joue en partie sur l’atteinte de ce Saint-Graal (en partie). C’est le très célèbre lâcher-prise.
Mais comment tu fais pour lâcher prise si tu es en permanence dans la recherche de la performance ? Ou si tu ne penses qu’à ton épilation ratée (ou pas faite) ou à la taille de ton sexe ? Et il se passe quoi si tu n’arrives pas à jouir ? Est-ce que ça veut dire que tu n’as pas pris de plaisir ? D’ailleurs, est-ce que taon partenaire a pris du plaisir ? As-tu fait tout ce que tu pouvais pour l’emmener jusqu’à l’orgasme ? Avec toutes ces pensées parasites, il est possible que tu ne prennes pas autant de plaisir que prévu. Ou alors que tu penses que tu es nul·le au lit parce que l’autre n’a pas joui ou parce que [insérer ici l’injonction souhaitée].
Se sentir différent·e·s et potentiellement exclu·e·s
Un autre problème soulevé par les injonctions est la sensation d’exclusion que tu peux avoir si tu ne rentres pas dans les cases et la sexualité définies. Si tu n’es pas dans une relation hétérosexuelle, où l’homme pénètre la femme, dans une position dite classique (missionnaire ou petite levrette des familles), tu peux avoir des difficultés à te sentir légitime ou à te projeter sereinement dans ta sexualité. Car nous avons rarement des représentations variées de relations sexuelles lorsque nous construisons notre sexualité. Certaines personnes, qui n’ont pas une vie sexuelle correspondant à ces représentations, peuvent se sentir anormales, perverses ou exclu·e·s. Ces personnes-là sont rarement les personnes les plus épanouies sexuellement. Elles peuvent ressentir de la frustration, être anxieuses quand il s’agit de se mettre nues avec quelqu’un, développer des complexes, voire éviter tout rapport sexuel. Tu reconnaîtras qu’en terme de bien-être mental et sexuel, on a vu mieux !
Doit-on mettre un frein aux différentes injonctions ?
Après tout ça, nous pourrions avoir tendance à se dire qu’il faut donc arrêter avec toutes ces injonctions et ces clichés autour de la sexualité. Sauf qu’en se disant « tordons le cou à toutes ces injonctions« , nous en créons une nouvelle : ne pas se soumettre aux clichés déjà existants…
Et cela a un nom. Nous appelons ça une injonction paradoxale (ou double contrainte) : tu ne peux pas y obéir sans désobéir. Si ton cerveau est en train de surchauffer, c’est normal !
La double contrainte a été théorisée par un certain Gregory Bateson dans les années 1950. Un bon exemple, repris de multiples fois pour expliquer ce paradoxe, est cette phrase : « soyez spontané·e« . Que tu tentes d’obéir ou non à cette phrase, tu ne seras pas spontané·e. L’idée n’est pas de faire de la psychologie de comptoir mais de montrer qu’avec ce genre de phrases et de réflexions, quoi que tu fasses, ça n’ira pas. Nous ne pouvons pas remplacer une injonction par une autre. De la même manière : il ne te viendrait pas à l’idée de remplacer une batterie défectueuse avec une batterie non chargée (en tout cas, ce ne serait pas productif).
Et si nous avions besoin d’enfoncer encore le clou, gardons aussi en tête que l’être humain est une espèce ayant un comportement grégaire. C’est-à-dire que nous avons tendance à nous regrouper et à adopter un comportement similaire à nos pairs. Tout est dans la dernière partie de cette définition : « adopter un comportement similaire« . Cela signifie que nous allons avoir tendance à adopter un comportement jugé acceptable pour intégrer un groupe. Est-ce qu’il t’es déjà arrivé·e, au sein d’un groupe (de potes ou dans ta famille), de te rendre compte que vous aviez des expressions linguistiques et/ou faciales similaires ? C’est ça, le comportement grégaire : nous adoptons et reproduisons les comportements d’autrui pour faire partie du groupe.
Peut-être que les injonctions dans la sexualité sont une manière pour certaines personnes de trouver leur place dans un groupe. Par l’expression de leur identité sexuelle et la reproduction des schémas jugés acceptables. De plus, cela peut être rassurant d’avoir cet espèce de manuel d’utilisation des relations sexuelles et amoureuses. Même si celui-ci est biaisé. Cela nous permet d’avoir ce fameux fil rouge (dont nous parlions en début d’article) pour nous guider dans la construction de nos sexualités et de nos relations.
L’important étant peut-être de rester ouvert à ce qu’on ne connaît pas (ou peu) et de regarder ces clichés avec un peu de nuance et d’esprit critique. Si tu te questionnes sur le fait de ne plus suivre toutes ces injonctions, la première question à se poser est peut-être de savoir si ta sexualité t’épanouit. Si ce n’est pas le cas, essaie de mettre le doigt sur ce qui t’empêche d’avoir la sexualité que tu aimerais : difficulté à exprimer ton ressenti, peur d’être jugé·e, etc. C’est parfois difficile de se poser ce genre de questions tout·e seul·e. Alors n’hésites pas à en parler à quelqu’un de confiance. Ou fais-toi accompagner par un·e sexologue ou un·e psychologue.
Conclusion… Et si on se lâchait la grappe ? A soi et aux autres. Enfin… Si tu veux ! Nous ne voudrions pas créer une nouvelle injonction. Alors que chacun·e fasse c’qui lui plaît !